⧋ Tala Transat | Part 3 & Fin | La Transat

TALA TRANSAT | 18 jours d’Atlantique | carnet de bord

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Voilà. C’est fait. J’ai vécu ma première grande traversée océanique et ce fut merveilleux.

 Comme il est assez bien d’usage, c’est avec des sentiments partagés que je reviens à la terre ferme : le désir du retour immédiat à la mer et le besoin de retrouver la stabilité terrienne.  

 Je suppose qu’il s’agit là de l’ambiguïté du rapport entre l’Homme et la Nature, du contraste entre l’amour du risque et du besoin de sécurité, de l’esprit d’aventure et du désir d’ancrage dans la terre.

 Voici un résumé-histoire de ces 18 jours de voyages sur cette vaste et somptueuse étendue d’eau salée.

Jour 1 | lundi 7 janvier 2019

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Nous larguons les amarres peu après le repas de midi. Cela fait plusieurs jours que nous profitions de l’agréable et venteuse ville de Las Palmas et de l’île de Gran Canaria (voir ici pour le post sur cette partie du voyage).

L’excitation calme du départ est palpable, le vent est stable et la mer avenante. Je ne sais pas vraiment ce qui m’attend.

Deux-trois semaines en mer, que cela signifie-t-il ? Je dis au revoir à la terre, je lui donne rendez-vous de l’autre côté.

J’ai encore la musique jazz des copains de Honky Tonk en tête, ça swing dans ma tête. Ils sont libres ces gens, libres. La vie ne doit pas être du plus confortable matériellement mais si elle est heureuse, quelle importance ? Je garderai leur doux souvenir ravivé par le visionnage des quelques capsules vidéos capturées à la sauvette la veille au soir.

A mesure que nous quittons les Canaries, un petit sentiment d’inquiétude me traverse. Je comprends alors, sans le vivre encore, que m’engager dans cette entreprise est très sérieux et surtout qu’il va falloir l’assumer jusqu’au bout. La première fois de toute chose demande au cerveau une forme de reset, même s’il se base sur les expériences vécues et connaissances emmagasinées. La plasticité du cerveau nous permet de créer de nouvelles connections neuronales et vivre de nouvelles expériences l’encourage. Un tas d’émotions me submergent, et c’est aussi pour cela que je suis là !

Mes horaires de quart (de veille) sont les suivants : Minuit / 2h du matin, Midi / 14h.  Je chante à tue-tête pendant mon quart de nuit pour rester éveillée. Heureusement, le cockpit se trouve surélevé en flybridge et le chahut des vagues emporte mes notes passionnées.  

Jour 2: mardi 8 janvier 2019

Deuxième jour. Plaisir infini de me réveiller au son des vagues, au creux de cette grosse coquille mouvante et entourée d’un bleu pastel. Le ciel est immense et nous offre douceur & magnificence.

 Je vais me créer un petit programme pour structurer ma vie à bord et selon mes quarts. Le voici :

⦊ 3h : Dodo

⦊ 9h30 : Lever

⦊ 10h : Rangement cabine et rituel matinal si désiré

⦊ 10h30 – 11h40 : Etude syllabus de yoga / lecture diverse

⦊ 12h – 14h : Quart #1

⦊ 14h – 15h : Sieste

⦊ 15h – 18h : Etude, autre

⦊ 18h – 19h : Préparation du repas

⦊ 19h – 20h : Repas

⦊ 20h – 23h40 : Sieste

⦊ 00h – 02h : Quart #2

Je sais que m’astreindre à une certaine discipline est nécessaire puisque la Fatigue fait partie de la règle des 3F à surveiller pour passer une bonne navigation et ne pas être malade. Les autres F sont Froid, Faim et je m’appliquerai donc à bien écouter mes besoins, à bien manger et me couvrir.

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Je re-trouve dans cet aspect de la navigation qui engage chacun à se responsabiliser, à écouter son corps, à se respecter, ce que j’aime faire passer comme message dans les blooming workshops et me remémorer régulièrement :  « Tu es le seul à savoir ce dont ton corps, esprit, âme a besoin. Et dans le calme, on entend mieux ». Et si prendre soin de soi en ville est une nécessité, le faire en mer en est une absolue. Le bateau bougeant en permanence, la variabilité de la météo, de la houle, du vent, l’apparition de petits bobos éventuels peuvent vite contribuer à créer un enfer sur mer si l’on néglige ses besoins.

Après, comme sur terre, rien n’est jamais statique et éduquer son corps, apprendre à s’écouter est un apprentissage accessible et très nourrissant.

Pour ce qui est des repas, chacun ayant ses propres horaires de quart, nous nous arrangerons d’un commun accord pour que les uns préparent le repas de midi et les autres le soir. Un quart de jour pouvant être réalisé avec moins de rigueur qu’un quart de nuit, nous pouvons manger tous ensemble à midi même durant mon horaire de quart.

Mis à part de beaux échanges, cette première vraie journée est intense pour moi. Etre sur un bateau mouvant en permanence est un peu déstabilisant, même si je n’ai pas le mal de mer. C’est intéressant, je m’étudie. Je pense à mes proches, qui me manquent. Mes petits démons ressortent, c’est le moment de bien respirer et de relativiser. Les séances de chants du quart de nuit sont salvateurs, voici venu le temps de rentrer en moi.

 Avant de dormir, je me demande ce que je souhaite apporter au monde et voici les quelques mots clés :

·      Ma voix

·      Mon énergie positive

·      Ma douceur et bienveillance

·      Ma créativité  

Jour 3: mercredi 9 janvier 2019

Au niveau lecture, j’ai commencé / continué plusieurs ouvrages:

·      « Un été avec Homère » de Sylvain Tesson.

·      « Blue Mind » de Wallace J. Nichols – qui m’en apprend toujours un peu tous les jours sur la plasticité du cerveau et les avantages à vivre entouré ou à proximité d’un plan d’eau, d’une mer.

·      « Le chant des pistes » de Bruce Chatwin – recueil d’anthropologie sur les tribus et cultures indigènes australiennes.

·      « La maitrise de l’amour » de Ruiz qui arrive toujours à point nommé lorsqu’une question de réflexion sur l’amour/ les relations surgit.

Je songe à faire une heure de quart de nuit en silence et l’autre en musique pour me confronter véritablement à mes pensées.

JOUR 4: jeudi 10 janvier 2019

Je lis  « Le chant des pistes » de Bruce Chatwin, c’est fascinant. En voici quelques extraits :

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·      « Les mythes aborigènes de la création parlent d’êtres totémiques légendaires qui avaient parcouru tout le continent au Temps du Rêve. Et c’est en chantant le nom de tout ce qu’ils avaient croisé en chemin – oiseaux, animaux, plantes, rochers, trous d’eau qu’ils avaient fait venir le monde à l’existence » pp. 11.

·      « Le chant et la terre ne font qu’un » pp.46.

Je trouve cette notion de chant créant le réel si belle et profonde. Cette vision du monde renseigne que chacun a un ancêtre totem et il est interdit de manger, tuer, peindre son totem au risque d’en mourir tant la puissance symbolique serait grande. Chatwin parle aussi des ‘walkabout’, ces voyages à travers le pays décidés à la sauvette par des hommes pris par le devoir instinctif et soudain de retracer les itinéraires des échanges dessinés par la piste chantée.

Je songe à la notion de discipline, de persévérance dont il est question dans cette notion de walkabout, où la simple erreur dans une parole ou un air peut coûter la vie à l’homme qui l’engendre. Je réalise que la stabilité psychologique et holistique, même et surtout dans un environnement constamment en changement, nécessite une certaine dimension rituelle.

Tous les matins donc, je m’appliquerai à prendre un temps pour moi avant de sortir de ma cabine.

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Les ciels sont toujours aussi somptueux et la mer maternellement facilitatrice. Au sein de Rangiroa, on entend et sent cette masse d’eau nous acheminer, doucement, vers notre destination. Gratitude.  

JOUR 5: VENDREDI 11 janvier 2019

Ce midi là, je réalise que nous sommes à un tiers du voyage, que le Cap Vert a été dépassé. Je suis au cœur de cette transat, de la mer Atlantique. Mon engagement est bien réel, je le sens habiter tout mon corps. Je prends une bonne respiration et je me rassure. Je décide d’écrire aussi les apprentissages liés à ma démarche :

·      Apprendre la persévérance

·      Apprendre la vraie confiance en soi

·      Apprendre à assumer mes choix

·      Apprendre à garder la foi

·      Apprendre que je suis vraiment seule et que c’est ok

Mon mental s’apaise, mon corps reprend confiance. Tout va bien.

Je songe à la notion de méditation aussi, et j’aime ce que Nichols rapporte dans son « Blue Mind » : « As psychology professor David DeSteno commented, this is the goal of most meditation practices in spiritual and secural traditions : to « break free » from concepts that divide us and to view all creation with compassion and love » pp. 247.

 Il nous apprend également que « compassion and altruism have been linked to the release of beta-endorphins, the opioid hormones present when we experience feelings of love, warmth, caring and social bonding » pp. 246.

 J’aime cette idée selon laquelle la méditation s’expérimente, se vit, est une façon de vivre, un ensemble cohérent – et pas seulement une pratique individuelle et déterminée.

Chacun peut donc trouver sa manière de méditer, de surpasser les moments difficiles en se concentrant sur des éléments porteurs de cette unité, de cette perfection dans l’adversité. Dans l’esprit « Blue Mind », se promener le long de la côte, nager, pratiquer un sport nautique, naviguer nous permet de nous retrouver, de créer de nouvelles connexions, de sécréter des hormones de bonheur. Mais je suis persuadée que la nature terrestre nous permet tout aussi bien cet état méditatif.

JOUR 6: samedi 12 janvier 2019

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Je me lève avec l’astre solaire qui n’oublie jamais de nous apporter le jour. Très puissante, l’ascension majestueuse se produit. Les nuages du ciel entier changent de luminosité et s’harmonisent selon les teintes du chef d’orchestre doré. 

Cette vie en huit clos est aussi un laboratoire humain intéressant. Les personnalités – à la fois statiques et en constante évolution – se dévoilent rapidement. Les besoins de partage, de solitude, de contrôle, de besoin de liberté de chacun se font sentir. Les égos se chatouillent parfois mais la communication douce règle tout. La chance infinie sur cette traversée est le désir collectif de chacun d’avancer.

J’écris ce qui pour moi est la solitude : instant de pause dans la vie sur-sociale sur-bruyante. Et puis la liberté : pouvoir de manœuvrer à sa guise dans un univers de choix donné. Pouvoir de gestion du temps et de l’espace. Choix de pouvoir d’être seul, choix de pouvoir être accompagné.

 Je digère, je revis certains épisodes familiaux, je prends mon indépendance puis je reviens au groupe pour le bien de l’équilibre général. Sacré chemin.  

 J’écris : « le retour au corps, au soin, au lâcher prise, au jeune pour le retour à soi, au divin, à l’essence ». 

JOUR 7: dimanche 13 janvier 2019

Ces mêmes clapotis sous mon dos assoupi. Je suis transportée dans cette belle machine à voilure, de Rangi qui a aussi une âme vagabonde.

Pour une question de veille plus efficace, Olivier et Patou feront tous les deux trois heures la nuit. Mes nouveaux horaires de veille sont donc : 13-15h et 21-23h. C’est juste parfait.  Je dessine un programme davantage flexible.

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⦊ 8h30 : Lever

⦊ 9h – 12h : Etude, lecture

⦊ 12h – 13h : Repas

⦊ 13-15h : Quart #1

⦊ 18h : Préparation repas avec Patou

⦊ 21h-23h : Quart chanté

⦊ 23h : Dodo

La mer est belle et je me sens hyper chanceuse. Vivre sur les flots est incroyablement tranquillisant et aventureux – comment s’en passer ? Chaque jour est une nouvelle page écrite de sel, de vent, de soleil et de bleu. Gratitude.

JOUR 8 à 14: lundi 14 au 20 janvier 2019

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J’ai beaucoup lu pendant une semaine. Entre temps, nous avons pêché un thon ou une bonite et une dorade coryphène. C’était délicieux. J’ai vraiment la sensation que notre geste de tuer un animal pour notre alimentation n’est pas un acte de profanation envers la nature mais bien un don de la mer, que nous honorons directement. Nous avons pris le temps de toucher le poisson, lui demander pardon et remercier la mer.

Nous essayerons bien d’attraper d’autres poissons mais sans succès.

Quelques dauphins – et d’autres de la même famille mais ressemblant davantage à des petites baleines – viendront nous saluer. Quelle joie de les voir danser à l’avant du navire.

Je pratique mon yoga avec plaisir et tant bien que mal sur la plateforme du flybridge. J’essaye les postures d’équilibre mais tout bouge follement.. Voici quelques photos de ces petits moments de bonheur. Merci au photographe Patou!

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JOUR 15 à 18: lundi 21/01 au vendredi 25/01

 Lundi 21/01, nous avons fait 3800 miles soit 6800 km depuis Bordeaux, c’est dingue !

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Les quelques derniers jours en mer se dérouleront calmement. Nous sommes heureux d’arriver. Nous apprécions les beaux derniers couchers de soleil et nuits bercées par les flots. Les étoiles nous accompagnent, radieuses.

Et puis, la terre. La Martinique. L’autre côté. Voilà que se termine cette magnifique expérience de gestion de soi, de contemplation de la Nature, de la vie en solitaire et en communauté.

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Mais voilà déjà que je songe au retour..